Le Sahel, un enjeu géostratégique majeur pour la sécurité de l’Occident

Si Al-Qaida a fait trembler l’Occident depuis l’Asie centrale au début du XXI° siècle, c’est désormais aux frontières de l’Europe que la menace se précise : dans la zone du Sahel.

Depuis longtemps, la région du Sahel est un pivot de la géopolitique d’une grande partie du continent africain, qu’il s’agisse du Maghreb, d’une partie du Machreq, et des États compris sur la ligne s’étendant de la Mauritanie à Djibouti. La montée en puissance de groupes terroristes de plus en plus violents dans cette partie du monde l’a placée au centre des attentions des pays occidentaux, et notamment de la France. Depuis leur retour d’Afghanistan, les forces françaises ont en effet renoué avec les engagements d’envergures sur les théâtres d’opérations africains, qu’il s’agisse de Serval au Mali, ou de Sangaris en République Centrafricaine. Ces opérations, ainsi que nombre d’événements, récents (l’enlèvement de jeunes écolières au Nigeria), comme plus anciens (nombreuses prises d’otages d’occidentaux, attentats contre des sites industriels etc.) tendent à rappeler que le Sahel est un des objectifs prioritaires de la stabilité aux portes de l’Europe, et plus largement, de la pérennité des intérêts occidentaux dans cette partie du continent africain (qu’ils soient historiques, politiques, économiques, énergétiques etc.).

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Un territoire vaste aux conditions extrêmes.

Mais commençons par tracer les contours de ce que nous appelons « Sahel ». La région du Sahel correspond, d’un point de vue strictement géographique, à la bande de territoire allant de l’océan Atlantique à la mer Rouge, et traçant une frontière naturelle entre les terres désertiques touchant au Sahara au nord et les savanes et forêts tropicales au sud. Sa superficie est donc extrêmement vaste, comptant environ un millier de kilomètres de largeur et plusieurs milliers de kilomètres de longueur (plus ou moins 8000 km). Le Sahel se trouve donc au contact d’un grand nombre de pays[1].Du point de vue des populations qui l’habitent, le Sahel est au carrefour des civilisations et des cultures, mêlant tout à la fois chrétiens, musulmans, et animistes, nomades et fermiers, arabes et africains[2].

D’un point de vue climatologique, cette région se caractérise par un climat de type aride, de grandes étendues désertiques (le Sahara) comprenant peu ou pas de végétation, de très fortes chaleurs, et un taux de précipitation très faible. Ces éléments naturels vont revêtir une importance capitale dans l’examen qui va suivre.

 La présence de nombreux groupes terroristes.

 Al-Qaïda au Maghreb Islamique – ou AQMI, Boko Haram, Ansaru, Al-Shabab, autant de noms qui commencent à gagner une notoriété comparable à celle dont bénéficia Oussama Ben Laden en son temps. Leurs actions se font de plus en plus violentes, et de plus en plus retentissantes, faisant de la zone sahélienne un nouvel « arc du terrorisme »[3]. Citons par exemple l’attaque du site gazier d’In Amenas en Algérie par un groupe dissident d’AQMI (le « Signataires par le sang ») en janvier 2013, laquelle se solda par près d’une quarantaine d’otages tués, ainsi que 32 des 37 terroristes présents[4]. On peut aussi évoquer la tuerie du Westgate Mall à Nairobi au Kenya, perpétrée par les Shebabs en septembre 2013. On peut aussi compter parmi les plus récents événements l’enlèvement commis par Boko Haram de jeunes filles nigérianes en avril dernier, dans le but de les échanger contre des prisonniers. Rappelons aussi l’opération Serval menée par l’armée Française au Mali depuis janvier 2013, sur laquelle nous reviendrons plus en détails au fil du développement.

Ces diverses observations nous amènent à opérer plusieurs constats :

         -Les groupes terroristes présents au Sahel sont nombreux :

Quatre d’entre eux ont été cités, les plus connus, mais il en existe un certain nombre (Ansar Dine, le front Polisario, le MUJAO etc.). Ces différents groupes ont diverses implantations géographiques du fait le plus souvent de leurs origines et de leurs histoires respectives, ce qui nous amène à un deuxième constat.

         -Les groupes terroristes du Sahel n’ont pas tous les mêmes objectifs :

Il est en effet possible de faire une distinction entre les groupes ayant des aspirations régionales (par exemple, Boko Haram ne se concentre que sur le Nigeria), et ceux dont les objectifs s’avèrent plus globaux (Ansaru, mouvement dissident de Boko Haram, prétend vouloir étendre son action à toute l’Afrique ; AQMI quant à elle recherche la création d’un grand califat islamique, ainsi que la destruction des intérêts occidentaux et de la puissance occidentale ayant prise sur les terres musulmanes).

 Ces observations sur la nature et les méthodes de ces différents groupes doivent être complétées par d’autres, relatives au caractère particulier du terrain sur lequel ils opèrent.

Des conditions d’actions difficiles

Revenons ici aux facteurs géographiques précédemment évoqués, pour leur adjoindre les caractéristiques propres aux groupes terroristes que nous citions en exemple. Nous nous trouvons donc en présence d’unités réduites, très souvent en mouvement, bénéficiant comme refuge des interminables étendues désertiques de plusieurs milliers de kilomètres carrés, au climat hostile à l’homme et à la technologie.

La superficie considérable du Sahel rend la localisation de ces groupes extrêmement ardue, même si l’on tient compte des techniques les plus avancées, telle l’observation satellitaire ou l’envoi de drones. Ainsi, la zone Sahélienne s’avère être une base suffisamment fiable et sûre pour permettre le développement de groupes de moyenne et grande envergure, à même de rayonner dans tous les États voisins, voire de planifier des frappes en occident[5].

 Les enjeux de la sécurité du Sahel sont donc multiples et primordiaux. Il s’agit en effet et en premier lieu d’assurer (ou de rétablir) la stabilité fortement ébranlée des Etats concernés. Le Mali, le Nigeria, ou la Somalie sont des exemples symptomatiques de ce phénomène. Les uns comme les autres souffrent d’une instabilité endémique du fait de la présence sur leur territoire de groupes tels AQMI ou le MUJAO (pour le Mali), Boko Haram[6] (pour le Nigeria), ou Al Shabab[7] (pour la Somalie).

La stabilité régionale est aussi liée à la stabilité économique dans les zones concernées. En effet, les attaques terroristes visent régulièrement les industries occidentales (citons l’exemple d’Areva[8]), nombreuses à avoir des intérêts économiques dans la cette région. Ces dernières se voient parfois contraintes à rapatrier leurs employés dans des zones plus sûres, au détriment de leur productivité.

Enfin, à une échelle plus globale, laisser le Sahel devenir une zone de non-droit aux mains de groupes extrémistes reviendrait à laisser ces mêmes groupes en faire une base arrière suffisamment développée pour leur permettre d’y planifier et préparer des attaques plus lointaines, comme par exemple sur le continent européen.

 Les moyens utilisés dans la lutte contre le terrorisme.

Les moyens employés pour contrer cette menace sont eux aussi très variés, afin de s’adapter au mieux à la nature de l’adversaire.

Le plus spectaculaire d’entre eux est naturellement l’opération militaire massive et de grande envergure, telle l’opération Serval au Mali[9]. Ce type d’intervention ne peut en revanche survenir que dans un cadre bien précis, à savoir celui « d’une menace pour la paix et la sécurité internationale »[10], justifiant alors l’utilisation des dispositions du Chapitre VII de la Charte des Nations-Unies autorisant le recours à la force armée. De même, la durée de ce type d’opération est limitée dans le temps (pour des raisons tant juridiques que budgétaires).

Plus discrète, mais non moins efficace, la guerre de l’ombre y est aussi largement employée. Il va alors s’agir d’opérations clandestines menées par les forces spéciales ou les groupes d’intervention des services de renseignements (les SEALS pour l’armée américaine, les SAS pour l’armée britannique, le COS et le service action de la DGSE pour l’armée française[11] etc.). Mais là encore, le facteur géographique rend ces opérations difficiles.

De plus, ces groupes opérant en petites cellules[12], il est difficile pour les agents de renseignements de les pénétrer, même si cela reste théoriquement possible. Il faut alors prendre en compte le facteur temporel, la mise en place d’un tel dispositif demandant un laps de temps important (trouver des agents susceptibles de réussir, les convaincre ou contraindre d’agir pour le compte des services de renseignements occidentaux, approcher lesdites cellules, puis y gagner suffisamment de confiance pour y « planter » l’agent en question, qui servira alors de source d’information de première main).

Le recours à la technologie s’avère alors indispensable, en soutien aux activités humaines sur le terrain. C’est là que vont intervenir les satellites, et surtout les drones[13]. Les États-Unis ainsi que la France opèrent les leurs depuis le Burkina Faso et le Niger[14]. Mais même l’emploi des moyens techniques les plus perfectionnés finit par montrer ses limites face à l’immensité du désert. S’agissant des drones, en l’état actuel de la technologie, leur autonomie ne leur permet de couvrir qu’un champ d’action relativement restreint. De plus, leur nombre sur ce théâtre d’opération devrait être sensiblement augmenté afin d’accroître leur efficacité opérationnelle. Et quoi qu’il en soit, le problème de l’identification des cibles se pose nécessairement, du fait du moindre développement des réseaux d’informateurs en raison des difficultés évoquées ci-dessus.

Le « Sahelistan »[15], un nouveau champ de bataille.

Les enjeux du Sahel sont donc capitaux, tant pour les acteurs africains qu’occidentaux, et sur place, la coopération est déjà bien implantée dans la lutte contre les groupes armés qui, ayant bénéficié du flot d’armes en provenance de la Lybie suite à l’effondrement du régime de Mouammar Kadhafi, se font de plus en plus violents et audacieux.

Mêlant à la fois trafics en tous genres, idéologies politiques comme religieuses, et terrorisme de plus en plus structuré, cette région semble donc être un défi majeur pour la stabilité des pays voisins (cités plus haut) comme pour la sécurité immédiate du continent européen, et particulièrement de la France, du fait sa forte implication africaine, la faisant figurer au premier des cibles potentielles d’éventuels attentats.

Beaucoup plus proche de l’Europe que ne l’était l’Afghanistan, la menace représentée par le terrorisme qui se développe au Sahel est prise très au sérieux par les États du vieux continent, ainsi que par les États-Unis. Le combat se poursuit donc, parfois sous les yeux des caméras et du monde, souvent dans l’ombre et à l’abri des regards.

Entre opérations extérieures et actions clandestines, coopérations interétatiques et surveillance inquiète des organisations internationales[16], la région du Sahel est au centre de beaucoup d’attentions. Or malgré tous les efforts déployés, la violence n’a de cesse de croître et de s’y ancrer, faisant passer le « Sahelistan » du concept à la réalité.

Charles Brozille

[1]    -Le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, l’Algérie, le Burkina Faso, le Niger, le Nigéria, le Tchad, le Soudan, le Cap-Vert, l’Erythrée, l’Ethiopie, la Somalie, et Djibouti (selon la conception la plus large).

[2]    -Marisa Larson and Emily Krieger , « The sahel », National Geographic, Sept. 8 2008

     -Salopek, Paul. « Lost in the Sahel. » National Geographic (April 2008)

[3]    -Voir Carte de Daniel Malys https://www.thinglink.com/scene/516601158861586433

[4]    -RFI, « Algérie, un an après la prise d’otage sanglante d’In Amenas », 16 janvier 2014

 [5]    -Burning curve – Assessing Africa’s ‘arc of instability’, IHS Jane’s Review, 14 August 2013

http://www.janes.com/article/25885/burning-curve-assessing-africa-s-arc-of-instability

  -Gillian Parker, « Africa desert helps breed radicals, from Al Shabab to Boko Haram to Mr. Marlboro« , The christian Science Monitor, 29 september 2013

 [6]    -Boko Haram areas of operations, 2010-2013 IHS Jane’s http://www.janes360.com/images/assets/372/38372/Boko_Haram_Area_of_ops_2010_2013_full.jpg

[7]    -Voir notre article « La Somalie, nouvelle zone d’expansion du Jihad global »

[8]    -Nina Godart, « Le niger, une zone ultra sensible pour AREVA », Africa Diligence, 24 mai 2013

[9]    -Dossier du ministère de la Défense sur ce sujet :    http://m.defense.gouv.fr/terre/dossiers/dossier-serval

[10]    – Résolution 2085 du Conseil de Sécurité de l’ONU autorisant une intervention au Mali

[11]    -Georges Brau, « Mission spéciale au Sahel », Rocher 2014

[12]    – « Un camp de combattants islamistes, qu’on appelle Katiba en Afrique du Nord, change sans cesse de lieu et d’effectifs. En dehors des actions terroristes qu’elle mène, une Katiba sert à l’entraînement de nouveaux maquisards, recrutés dans toute l’Afrique de l’Ouest. La plupart espèrent repartir dans leur pays, à l’issue de leur séjour, pour mener le Jihad », Jean-Christophe Rufin, « Katiba », Flammarion, 2010.

[13]    -Antonio Mazzeo, « Drones au Sahel », 04 février 2013, Mediapart

[14]    – http://www.theguardian.com/world/2013/jan/29/niger-approves-american-surveillance-drones

     http://www.gouvernement.fr/gouvernement/drones-reaper-de-l-armee-de-l-air-au-sahel

[15]       – Samuel Laurent « Sahelistan », Seuil, 2013

[16]       – UN Integrated strategy for the Sahel http://unowa.unmissions.org/Default.aspx?tabid=869

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